
01. Définition de crowdsourcing
Le crowdsourcing se définit comme un processus visant à permettre l’approvisionnement en informations par le plus grand nombre. Qualifié en France de processus d’externalisation ouverte, il est au coeur des projets d’élaboration participative en ligne tels que l’encyclopédie Wikipedia.
L’objectif est celui d’une implication large de personnes dans la construction de projets collectifs à grande échelle: participation à la conception, à la fabrication ou encore à la décision par mutualisation des ressources et des savoirs.
02. Application à la recherche de la preuve en matière pénale
Un tel processus est-il transposable au processus de récolte et d’utilisation de la preuve en matière pénale?
Les services de police sont soumis, dans le cadre de l’enquête pénale, à des contraintes évidentes: contraintes budgétaires, mais également contraintes procédurales.
En dépit du caractère rudimentaire du droit de la preuve dans notre procédure pénale, les services de police sont soumis au respect de prescriptions légales et jurisprudentielles qui limitent les modalités de recueil et d’établissement des preuves. L’autorité de poursuite est en effet soumise à un principe de loyauté et de légalité de la preuve qui l’empêche de mettre en oeuvre des stratagème visant à établir la matérialité des faits poursuivis.
C’est pour cela que, depuis 2004, il y a eu un approfondissement des règles qui permettent à la police de recourir aux nouvelles technologies, notamment en mettant en place dès 2004 l’infiltration, c’est-à-dire la possibilité pour un policier de se faire passer pour un délinquant qui achète de la drogue ou qui consulte des sites pédo-pornographiques, de recueillir des informations sur les personnes qu’il rencontre et avec qui il échange et de les retenir en tant que preuve dans le cadre d’une procédure.
De même, des cyberpatrouilles agissent sur un internet pour débusquer des auteurs d’infractions liées aux nouvelles technologies (consultation de sites pédopornographiques par exemple) dans le cadre de prérogatives strictement fixées par le code de procédure pénale.
La tentation est dès lors grande de profiter de l’extraordinaire rapidité de circulation de l’information que procure l’internet et notamment les sites dits participatifs ou les réseaux sociaux.
Cette externalisation peut être spontanée, des informations circulent à découvert sur les réseaux sociaux et sont utilisées par les services de police, ou être suscitée, notamment par des demandes explicites de type « appel à témoin » sur les réseaux sociaux aux fins d’identification de l’auteur d’une infraction.
D’une procédure pénale soumise au secret de l’enquête et aux contraintes du Code de procédure pénale, s’organiserait ainsi une procédure parallèle constituée de preuves recueillies par des tiers à la procédure, mais néanmoins utiles à la manifestation de la vérité.
Tel pourrait par exemple être le cas d’images, de vidéos ou de témoignages recueillis sur les réseaux sociaux, de manière spontanée, susceptibles d’« alimenter » un dossier.
Le smartphone est en effet devenu un outil permettant le recueil en temps réel d’informations et de documentation instantanée du réel que chacun n’hésite pas à partager sur les réseaux sociaux ou les sites participatifs.
L’information circule plus vite, et touche un nombre plus important de personnes.
Comment la police peut-elle creuser dans cette mine d’or inexploitée ?
L’enjeu serait ainsi de mieux utiliser les informations circulant à découvert sur réseaux sociaux, voire susciter le recueil de ces informations auprès du plus grand nombre pour alimenter un dossier pénal.
Plusieurs exemples puisés dans les pratiques étrangères permettent d’illustrer cette orientation de la procédure pénale.
En Espagne, la police espagnole utilise son compte sur le réseau Twitter pour récolter les informations permettant de démanteler les trafics de drogue.
Au Royaume-Uni, dès l’année 2010, une application dénommée Facewatch a été mise en ligne suite aux émeutes qui ont embrasé Londres au mois d’août 2011.
L’application propose aux internautes, par un formulaire en ligne sécurisé, de partager des images ou d’effectuer des témoignages permettant d’élucider des affaires pénales.
Des profils de délinquants présumés sont ainsi constitués et permet à toute personne qui reconnaît un éventuel émeutier de l’identifier ou de fournir les informations concernant cette personne à la police.
Au Texas, l’installation de 2000 webcams le long des 2000 km de la frontière entre le Texas et le Mexique a donné naissance à une application dénommée Virtual Border Watch Program, permettant à n’importe quel citoyen de contribuer à la surveillance de la frontière et dénoncer des franchissements illégaux.
03. Risques inhérents au développement du crowdsourcing policier
Les développements précités du crowsourcing policier conduisent naturellement à s’interroger sur les dérives qu’il renferme.
Le risque d’un recours accru à l’aide des citoyens dans la recherche de preuves est en premier lieu de le transformer en sous-traitant de la procédure pénale.
Il est ainsi invité à participer à la procédure comme un détective privé qui va aider la police à résoudre ses affaires.
En deuxième lieu, la mise en oeuvre du crowdsourcing policier peut également donner lieu à de véritables traques participatives pour retrouver les auteurs d’un délit ou d’un crime.
L’exemple le plus frappant est celui de l’attentat à la bombe lors du Marathon de BOSTON.
Les autorités américaines avaient lancé un appel à témoin pour la diffusion de vidéo ou de photo accompagné d’une récompense de 50 000 dollars pour toute information permettant de retrouver les coupables.
A partir d’un sac à dos retrouvé sur la scène du crime s’est organisée une véritable chasse à l’homme : les images prises par les personnes présentes et celles des caméras de vidéosurveillance ont été disséquées sur les réseaux sociaux pour tenter de retrouver le porteur de ce sac.
Des sites internet, Redit par exemple, ont pris le relai en organisant une véritable enquête participative pour retrouver le propriétaire de ce sac, présumée l’auteur de l’attentat.
Deux innocents, on le saura plus tard, seront durant plusieurs jours suspectés sur les réseaux sociaux d’être les auteurs de l’attentat. Leur honneur sera ainsi durant plusieurs semaines bafoué, de même que toute présomption d’innocence.
Enfin, la mise en oeuvre du crowdsourcing policier est susceptible d’avoir des conséquences directes sur le respect des droits fondamentaux des personnes identifiées comme les auteurs d’un délit ou d’un crime par la liesse populaire.
D’abord, comme cela vient d’être décrit, sur le terrain du respect de la présomption d’innocence.
Ensuite, sur le terrain du respect du droit à la vie privée, puisque le crowdsourcing conduit à diffuser, de manière publique, des images de personnes identifiables, au mépris de leur droit à l’image et au respecte de leur vie privée.
04. Conclusion
Ce retour vers le futur de notre procédure pénale montre la nécessité d’adapter notre Code de procédure pénale pour en faire un Code de procédure pénale 2.0, tout comme il existe une Loi sur la liberté de la presse 2.0, la Loi sur la confiance en l’économie numérique, qui a adapté les exigences de la loi de 1881 aux contraintes des nouvelles technologies.
Les dispositions du Code de procédure pénale relatives à la légalité et à la loyauté de la preuve n’empêchent pas l’exploitation d’informations participatives. Il est donc nécessaire d’adapter le code de procédure pénale afin d’encadrer de type de dérives, inévitables.
Cette adaptation devra non seulement réaffirmer le primat de la protection des libertés individuelles sur l’effectivité de l’enquête pénale, mais également proscrire une orientation de la procédure pénale vers l’externalisation ouverte.
Fiche disponible sur le site de l’Ordre des Avocats de Paris